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A T H E N A


Descartes

Les Passions de l'Âme

Table des matières

 

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Méditations métaphysiques (html)
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XCIV - Comment ces passions sont excitées
par des biens et des maux qui ne regardent que le corps,
et en quoi consistent le chatouillement et la douleur.

            Ainsi lorsqu'on est en pleine santé et que le temps est plus serein que de coutume, on sent en soi une gaieté qui ne vient d'aucune fonction de l'entendement, mais seulement des impressions que le mouvement des esprits fait dans le cerveau; et l'on se sent triste en même façon lorsque le corps est indisposé, encore qu'on ne sache point qu'il le soit. Ainsi le chatouillement des sens est suivi de si près par la joie, et la douleur par la tristesse, que la plupart des hommes ne les distinguent point; toutefois ils diffèrent si fort qu'on peut quelquefois souffrir des douleurs avec joie, et recevoir des chatouillements qui déplaisent. Mais la cause qui fait que pour l'ordinaire la joie suit du chatouillement est que tout ce qu'on nomme chatouillement ou sentiment agréable, consiste en ce que les objets des sens excitent quelque mouvement dans les nerfs qui serait capable de leur nuire s'ils n'avaient pas assez de force pour lui résister ou que le corps ne fût pas bien disposé; ce qui fait une impression dans le cerveau, laquelle étant instituée de la nature pour témoigner cette bonne disposition et cette force, la représente à l'âme comme un bien qui lui appartient en tant qu'elle est unie avec le corps, et ainsi excite en elle la joie. C'est presque la même raison qui fait qu'on prend naturellement plaisir à se sentir émouvoir à toutes sortes de passions, même à la tristesse et à la haine, lorsque ces passions ne sont causées que par les aventures étranges qu'on voit représenter sur un théâtre, ou par d'autres pareils sujets, qui, ne pouvant nous nuire en aucune façon, semblent chatouiller notre âme en la touchant. Et la cause qui fait que la douleur produit ordinairement la tristesse est que le sentiment qu'on nomme douleur vient toujours de quelque action si violente qu'elle offense les nerfs; en sorte qu'étant institué de la nature pour signifier à l'âme le dommage que reçoit le corps par cette action, et sa faiblesse en ce qu'il ne lui a pu résister, il lui représente l'un et l'autre comme des maux qui lui sont toujours désagréables, excepté lorsqu'ils causent quelques biens qu'elle estime plus qu'eux.