Athena s'apprêtant à écrire
Athena getting ready to write

A T H E N A


Montesquieu

Lettres persanes

- Lettres persanes
- Table des matières
- Introduction
- Quelques réflexions sur les lettres persanes

Lettres
1 2 3 4 5
6 7 8 9 10
11 12 13 14 15
16 17 18 19 20
21 22 23 24 25
26 27 28 29 30
31 32 33 34 35
36 37 38 39 40
41 42 43 44 45
46 47 48 49 50
51 52 53 54 55
56 57 58 59 60
61 62 63 64 65
66 67 68 69 70
71 72 73 74 75
76 77 78 79 80
81 82 83 84 85
86 87 88 89 90
91 92 93 94 95
96 97 98 99 100
101 102 103 104 105
106 107 108 109 110
111 112 113 114 115
116 117 118 119 120
121 122 123 124 125
126 127 128 129 130
131 132 133 134 135
136 137 138 139 140
141 142 143 144 145
146 147 148 149 150
151 152 153 154 155
156 157 158 159 160
161        

- Texte complet (html)
- Texte complet (pdf)

- André Lefèvre: Notes et variantes
- André Lefèvre: Index des Lettres persanes
- Marcel Devic: Le calendrier persan
- Ouvrages de André Lefèvre

 

LETTRE LXVI.

RICA A ***.

            On s'attache ici beaucoup aux sciences, mais je ne sais si on est fort savant. Celui qui doute de tout comme un philosophe n'ose rien nier comme théologien; cet homme contradictoire est toujours content de lui, pourvu qu'on convienne des qualités.
            La fureur de la plupart des Français, c'est d'avoir de l'esprit; et la fureur de ceux qui veulent avoir de l'esprit, c'est de faire des livres.
            Cependant il n'y a rien de si mal imaginé: la nature semblait avoir sagement pourvu à ce que les sottises des hommes fussent passagères, et les livres les immortalisent. Un sot devrait être content d'avoir ennuyé tous ceux qui ont vécu avec lui: il veut encore tourmenter les races futures; il veut que sa sottise triomphe de l'oubli dont il aurait pu jouir comme du tombeau; il veut que la postérité soit informée qu'il a vécu, et qu'elle sache à jamais qu'il a été un sot.
            De tous les auteurs, il n'y en a point que je méprise plus que les compilateurs, qui vont de tous côtés, chercher des lambeaux des ouvrages des autres, qu'ils plaquent dans les leurs, comme des pièces de gazon dans un parterre: ils ne sont point au-dessus de ces ouvriers d'imprimerie qui rangent des caractères, qui, combinés ensemble, font un livre où ils n'ont fourni que la main. Je voudrais qu'on respectât les livres originaux; et il me semble que c'est une espèce de profanation de tirer les pièces qui les composent du sanctuaire où elles sont, pour les exposer à un mépris qu'elles ne méritent point.
            Quand un homme n'a rien à dire de nouveau, que ne se tait-il? Qu'a-t-on affaire de ces doubles emplois? Mais je veux donner un nouvel ordre. Vous êtes un habile homme: c'est-à-dire que vous venez dans ma bibliothèque et vous mettez en bas les livres qui sont en haut, et en haut ceux qui sont en bas: vous avez fait un chef d'oeuvre.
            Je t'écris sur ce sujet, ***, parce que je suis outré d'un livre que je viens de quitter, qui est si gros qu'il semblait contenir la science universelle; mais il m'a rompu la tête sans m'avoir rien appris. Adieu.

            A Paris, le 8 de la lune de Chahban 1714.