Ethique étique
et www

(3 novembre 1998)

[liens obsolètes supprimés]

   Parlons de ces choses, sages insignes, quelque peine que cela vous fasse. Le silence est pire. Les vérités que l'on tait s'enveniment.
   Nietzsche, Ainsi parlait , II, De la maîtrise de soi.

 

 

 

    Le C.P.T.I.C. m'a demandé d'établir un document de travail recensant un certain nombre de difficultés rencontrées par les collaborateurs du D.I.P. (Département de l'Instruction publique, à Genève) qui s'efforcent de mettre du contenu culturel sur l'Internet. Le but est de ne pas laisser l'éthique se rabougrir, à quelque niveau que ce soit.
    L'informatique a été incomprise et malmenée au cours des dernières années. Au milieu des années nonante, les installations qui permettaient de travailler et d'enseigner en ligne dans les écoles secondaires (FTP, Telnet, e-mail) avaient été désactivées; le Club Internet des enseignants, fermé; les équipements, gelés. Dernièrement, l'informatique avait tout simplement été oubliée dans le projet de réforme de la maturité gymnasiale. Ignorant le tsunami Internet, Genève continuait à chanter:

Allons danser sous les ormeaux:
Animez-vous jeunes fillettes.
Allons danser sous les ormeaux:
Galants, prenez vos chalumeaux.

            J.-J. Rousseau, Le Devin du Village (1752)

    Le document ci-dessous est, je le répète, un document de travail: il n'est ni exhaustif, ni définitif, ni autoritaire (Video meliora proboque, deteriora sequor... - Ovide, Mét., VII, 20); sa seule force vient des faits et de l'expérience accumulée depuis l'époque héroïque des BBS; son but est de servir de point de départ aux réflexions du GT11(groupe de travail 11 du C.P.T.I.C. - sur l'Internet). Comme tout document électronique, il subira des modifications et des améliorations. L'information peut être complétée en parcourant les sites dont les adresses figurent dans la quatrième partie de ce texte.
    Parmi les dizaines de sujets susceptibles d'être évoqués, seuls quelques-uns ont été retenus pour animer le brain storming du GT11. Ils s'articulent autour de quatre thèmes:

1. Respect du travail des concepteurs de sites web par les responsables de services informatiques.
1a. La gestion dans le boudoir.
1b. Protection concrète du patrimoine virtuel.
1c. Sus aux gâte-sauces!
2. Respect des utilisateurs de sites Web par les concepteurs.
3. Les bienséances du courrier électronique.
4. Quelques adresses du savoir-vivre sur le Net.

Au sujet du respect du travail des concepteurs de sites web par les responsables de services informatiques

La gestion dans le boudoir

    L'Internet remet en cause les méthodes de gestion traditionnelles: on passe de l'échelle (dans ce type de hiérarchie les messages circulent lentement et se déforment), ou de la pyramide (le sommet en équilibre instable et la base écrasée s'ignorent, d'où l'inertie du système), ou encore des pétales (le centre est engorgé d'information et l'ensemble se déssèche) à la toile (web) dynamique, multinodale, autoréparable. Il faut avoir désormais la capacité de gérer ce qui change sans cesse et changer soi-même pour s'adapter à temps à ce changement.
    Les choix doivent alors mettre en évidence l'intelligence, la raison et la compétence de ceux qui décident, ainsi que leur finesse à prévoir les contre-finalités; il y va du respect et de la crédibilité de l'institution. L'Internet a cela d'exaltant qu'on ne peut plus s'enfermer dans un boudoir pour gouverner. Bientôt, chaque décision devra être une fête pour l'intelligence et un sujet d'admiration pour les administrés.
    Dans ce cadre, ceux qui administrent doivent faciliter la tâche de ceux qui oeuvrent, respecter le travail et la créativité des concepteurs et, si possible, être au courant de ce que ces derniers réalisent. Il semble avisé, par exemple, de ne pas payer, simultanément, des personnes pour effectuer un travail et des gens pour entraver ce travail.

Protection concrète du patrimoine virtuel

    Dans le cadre de l'Etat, il est nécessaire de fournir les accès adéquats au réseau (Http, FTP, Telnet, e-mail) aux personnes chargées d'un site (concepteurs, ingénieurs système, webmasters, etc.) afin qu'elles n'aient pas à recourir à un fournisseur extérieur pour effectuer certaines de leurs tâches publiques: les risques de détournement des informations culturelles (ou administratives) sont connus et évidents; évitons d'être complices!
    Certes, aucune information ne peut plus être séquestrée; toutes les communications peuvent être capturées; les nouvelles technologies radiographient les décideurs comme les consommateurs. Cependant, l'Etat doit s'efforcer de ne pas favoriser la fuite des données élaborées par ses collaborateurs. Il doit fournir à ces derniers les accès au Web, afin que travaux et données effectués dans le cadre de l'institution ne se retrouvent pas d'une façon inopportune sur des sites commerciaux, livrés au pillage et obligés d'endosser les publicités de toute nature.
    On ne peut pas d'une part construire des murailles de sécurité et de chinoiseries autour des systèmes informatiques de l'Etat (jusqu'à entraver considérablement certaines tâches) et demander aux collaborateurs de s'éparpiller avec leurs données et leurs travaux chez des fournisseurs Internet privés, aimantés par le profit. Il paraît donc avisé de garder la main sur la gestion de nos productions culturelles, afin d'assurer leur fiabilité, au lieu de les laisser basculer dans le capharnaüm des sites commerciaux, politiques, logorrhéiques, belliqueux, pornographiques, mystificateurs...
    Faute de cette prudence, ce sont souvent des données inattendues qui apparaissent sur des sites non moins inattendus et raillent ceux qui auraient dû développer une gestion dynamique des ressources virtuelles. On voit apparaître en ligne les sujets d'examens, les récits détaillés des mésaventures des recrues, les commentaires d'étudiants mécontents et nombre de documents étonnants que l'on tentait de dissimuler. L'Internet éclate partout d'un grand rire déstabilisateur. Il faut se préparer à voir apparaître d'autres dossiers: mieux vaut donc offrir à temps l'information que se voir devancer par celui qui la dénonce. La mise en place de moyens d'accès aux nouvelles technologies dans le cadre de l'institution scolaire permet d'inciter les utilisateurs à comprendre et à suivre un certain nombre de règles déontologiques; sinon, hors de là, les transgressions de toutes sortes sont permises: aux paradis fiscaux font maintenant écho les paradis informatiques, mobiles, situés hors de toutes frontières territoriales, insaisissables. On retrouve, sous une autre forme, l'alternative fameuse: des investissements pour développer pertinemment le système éducatif ou des coûts énormes pour endiguer la violence et indemniser ses contrecoups. Mais nombreux sont ceux qui préfèrent voir tout un système se lézarder plutôt que de réviser leurs prérogatives.

Sus aux gâte-sauces!

    La mise sur pied et la maintenance de sites culturels sont des tâches lourdes, qui s'inscrivent dans la durée - laquelle n'est pas du temps creux, mais une étoffe vivante insufflée de mémoire profonde et de vigilante pensée, gravide de l'oeuvre à venir. C'est pourquoi l'Etat doit mettre en oeuvre les moyens permettant d'éviter les coûteuses pertes de temps de ses collaborateurs.

    Des mesures simples et efficaces peuvent être prises rapidement, par exemple:
    - Accès facilité aux connexions FTP (téléchargement des données), Telnet (travaux en ligne, corrections, changement fréquent de mot de passe), Http (essais en ligne, test de tous les liens, vérifications), e-mail (réception des commentaires, corrections, etc.).
    - Les concepteurs doivent être avertis à l'avance en cas de modification des accès au site, de changement d'adresse ou de DNS, de dysfonctionnements probables, etc., afin d'éviter les pertes de temps en tentatives de connexion. Simple question de courtoisie et de gestion du rendement!
    - Il est nécessaire d'avoir des outils (système, hardware, software) performants. Les services informatiques de pointe (souvent affectés du prurit des titres emphatiques et des sigles aussi éphémères qu'abstrus) doivent disposer de matériel et de logiciels modernes et ne pas contraindre leurs collaborateurs à travailler avec des instruments désuets et riquiqui. Nous n'avons pas une vocation aiguë d'être les eunuques du web.
    - Les concepteurs de sites doivent avoir la possibilité de travailler depuis leur domicile pour des raisons de fiabilité (corrections urgentes) et de sécurité (changer le mot de passe) évidentes.
    - Fiabilité du courrier électronique (e-mail): il est impératif d'assurer la fiabilité constante des liaisons. Des documents importants circulent: ouvrages électroniques à publier, conventions d'utilisation, contrats de copyright, convocations à des séances, horaires, données scientifiques, assistance médicale, commentaires et corrections urgents, examens en ligne, alertes, etc. En cas d'interruption du service, il faut informer les utilisateurs plusieurs semaines à l'avance (et pas pendant les vacances!), afin qu'ils puissent prendre les dispositions nécessaires pour avertir leurs correspondants. En cas de suspension définitive du service, il faut prendre les mesures pour rediriger le courrier.

Respect des usagers par les concepteurs de sites web

    A leur tour, les créateurs de sites Internet doivent prendre en compte les souhaits et les difficultés des internautes qui font escale chez eux. Il convient, entre autres, d'être averti des problèmes suivants:

Validité de l'information
    Assurer la validité, la fiabilité, la crédibilité de l'information.
    Mettre à jour l'information en temps réel.
    Veiller à ne pas compromettre le site, le service ou l'institution.

Changements d'adresses (url)
    Respecter les livres d'adresses, les signets (bookmarks) des visiteurs.
    Ne pas changer les adresses sans motif sérieux.
    Prévoir des alias en cas de changement de liens.

Navigation aisée
    Faciliter la navigation à l'intérieur du site.
    Prévoir des retours aux pages précédentes et à la page principale (home page).
    Vérifier la validité des liens.
    Aider les digitally homeless, les nouveaux handicapés digitaux (dont, parfois, le persiflage tortu révèle l'angoisse face à un monde qui change sans eux).

Possibilité de feedback
    Signer les pages et indiquer l'adresse électronique (e-mail) du concepteur au bas des pages, pour commentaires et corrections.
    Indiquer l'adresse (e-mail) des personnes qui apportent leur contribution à la réalisation du site (ne pas s'attribuer le travail d'autrui...).
    Remercier ceux qui envoient commentaires et corrections (cela enrichit la convivialité intellectuelle et culturelle du Web).

Respect des sources
    Certains sites affichent les pages d'autres sites dans leurs propres frames (cadres). C'est une forme d'appropriation du travail d'autrui, contraire à la Netiquette. Les résultats ne sont d'ailleurs pas toujours ceux escomptés. La commande target offre de multiples possibilités pour éviter cette inélégance...

Les bienséances du courrier électronique

    Les échanges de courrier électronique (e-mail) appellent aussi quelques remarques. Il faut veiller à ce que le respect des codes déontologiques ne soit pas trop étriqué. Il est donc souhaitable d'envisager les règles suivantes:

    Ne pas envoyer de messages inutiles.
    Ne pas abuser des listes de distribution ou des redirections de courrier (forward).
    Respecter la sphère privée.
    Ne pas utiliser le compte et le mot de passe d'autrui.
    Ne pas diffuser sans autorisation les adresses et les données (de très nombreuses entreprises privées le font déjà continuellement).
    Signer les mails (nom, adresse, tél., e-mail). Les règles de politesse doivent être les mêmes que celles du courrier lent.
    Indiquer l'adresse de retour (adresse e-mail claire et complète).
    Un style télégraphique n'exclut pas les civilités.
    Ne pas envoyer de pièces jointes (attachments) volumineuses sans autorisation préalable du destinataire.
    Accuser réception du courrier (au moins celui des collaborateurs et amis).
    Ne pas utiliser à grande échelle un compte de l'Etat au service d'une entreprise privée (idem pour le fax, le téléphone, le courrier...) - sauf rétrocession des coûts.
    A moins d'avoir un mandat de l'autorité judiciaire compétente, ne pas fouiner dans le courrier d'autrui.
    Donner l'exemple de la bonne conduite afin de pouvoir l'exiger.
    Maîtriser la technologie afin de pouvoir lutter contre les abus (plutôt que de les subir).
    Si nous ne pouvons être à la fois compétents et courtois, efforçons-nous d'honorer au moins la deuxième de ces qualités.

Quelques adresses du savoir-vivre sur le Net

    On trouve en ligne de nombreux documents évoquant, sous diverses formes, des règles de comportement sur l'Internet. En voici quelques exemples (non classés).

Note

    Il s'agit de l'ancien C.I.P. (Centre Informatique Pédagogique) devenu C.P.T.I.C. (Centre Pédagogique des Technologies de l'Information et de la Communication) pendant que je relisais ce document. (Retour au texte)

    Avec mes remerciements à Lilliam Hurst et aux membres du GT11 pour leurs commentaires, suggestions, corrections et leurs anecdotes hautes en couleur.

Pierre Perroud              

Créé: 1998.03.11
Rév. en commission GT11 du C.P.T.I.C.: 1998.06.02
Correction: 1998.09.26

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