Athena s'apprêtant à écrire
Athena getting ready to write

A T H E N A



PETITS POËMES EN PROSE
(LE SPLEEN DE PARIS)

À Arsène Houssaye

I L'étranger
II Le désespoir de la vieille
III Le confiteor de l'artiste
IV Un plaisant
V La chambre double
VI Chacun sa chimère
VII Le fou et la Vénus
VIII Le chien et le flacon
IX Le mauvais vitrier
X. À une heure du matin
XI. La femme sauvage et la petite maîtresse
XII. Les foules
XIII Les veuves
XIV. Le vieux saltimbanque
XV. Le gâteau
XVI. L'horloge
XVII Un hémisphère dans une chevelure
XVIII L'invitation au voyage
XIX. Le joujou du pauvre
XX. Les dons des fées
XXI. Les tentations, ou Éros, Plutus et la gloire
XXII. Le crépuscule du soir
XXIII La solitude
XXIV Les projets
XXV La belle Dorothée
XXVI Les yeux des pauvres
XXVII Une mort héroïque
XXVIII La fausse monnaie
XXIX Le joueur généreux
XXX La corde À Édouard Manet
XXXI Les vocations
XXXII Le Thyrse À Franz Liszt
XXXIII Enivrez-vous
XXXIV Déjà
XXXV Les fenêtres
XXXVI Le désir de peindre
XXXVII Les bienfaits de la lune
XXXVIII Laquelle est la vraie?
XXXIX Un cheval de race
XL Le miroir
XLI Le port
XLII Portraits de maîtresses
XLIII Le galant tireur
XLIV La soupe et les nuages
XLV Le tir et le cimetière
XLVI Perte d'auréole
XLVII Mademoiselle Bistouri
XLVIII Any where out of the world - N'importe où hors du monde
XLIX Assommons les pauvres
L Les bons chiens À M. Joseph Stevens
LI Épilogue

Appendice: listes, projets, fragments

Poëmes à faire

LII CHOSES PARISIENNES
LIII ONEIROCRITIE
LIV SYMBOLES ET MORALITÉS

Fragments

LV (Pour la guerre Civile)

Poëmes nocturnes

LVI LA LETTRE D'UN FAT.
LVII SYMPTOMES DE RUINE
LVIII Notes pour l'Elégie des Chapeaux
LIX Notes pour "La cour des messageries"
LX Der Tod als Erwürger

* * *

Petits poèmes en prose (html)

Petits poèmes en prose (pdf)


 

XXXVIII
Laquelle est la vraie?

     J'ai connu une certaine Bénédicta, qui remplissait l'atmosphère d'idéal, et dont les yeux répandaient le désir de la grandeur, de la beauté, de la gloire et de tout ce qui fait croire à l'immortalité.
     Mais cette fille miraculeuse était trop belle pour vivre longtemps, aussi est-elle morte quelques jours après que j'eus fait sa connaissance, et c'est moi-même qui l'ai enterrée, un jour que le printemps agitait son encensoir jusque dans les cimetières. C'est moi qui l'ai enterrée, bien close dans une bière d'un bois parfumé et incorruptible comme les coffres de l'Inde.
     Et comme mes yeux restaient fichés sur le lieu où était enfoui mon trésor, je vis subitement une petite personne qui ressemblait singulièrement à la défunte, et qui, piétinant sur la terre fraîche avec une violence hystérique et bizarre, disait en éclatant de rire:
     "C'est moi, la vraie Bénédicta! C'est moi, une fameuse canaille! Et pour la punition de ta folie et de ton aveuglement, tu m'aimeras telle que je suis!"
     Mais moi, furieux, j'ai répondu: "Non! non! non!" Et pour mieux accentuer mon refus, j'ai frappé si violemment la terre du pied que ma jambe s'est enfoncée jusqu'au genou dans la sépulture récente, et que, comme un loup pris au piège, je reste attaché, pour toujours peut-être, à la fosse de l'idéal.