O. Gonet

Olivier GONET

ESQUISSES DE LA

MEDITERRANEE

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    A cette époque, les petites villes espagnoles ne s'étaient pas encore ouvertes aux perfections techniques et au clinquant de la vie moderne. Je me souviens, en particulier, de la salle oú se déroulaient les projections. Elle sentait le caoutchouc cuit, les fauteuils perdaient du crin, mais le public était merveilleux.

    Les jeunes gens grignotaient des graines de pastèque dont les épluchures volaient en plumes d'ombre sur l'écran. D'autres jouaient aux cartes sous la veilleuse des cabinets. Des petits enfants pleuraient de sommeil sur les genoux des mamans, toutes retournées par le regard velouté des acteurs. Un brave guardia civil, coiffé de son tricorne en carton ciré, assurait l'ordre au moment de la présentation du film.

    En première vision nationale, il y avait des bandes vieilles de quarante ans. La réputation des acteurs atteignait l'Espagne avec une génération de retard.

    Les garçons en pinçaient pour la compagne de Charlot Dictateur et les filles pour les muscles juvéniles d'un acteur italien mort de vieillesse depuis longtemps.

    Parfois, l'opérateur s'embrouillait dans la manoeuvre du projecteur et le film s'arrêtait brusquement sur un affreux bubon pesteux qui grandissait en bouillonnant sur toute la largeur de l'écran ou alors les gestes des acteurs s'accéléraient follement. Les personnages se mettaient à parler comme des petits oiseaux, ils s'embrassaient en se heurtant la tête puis dévalaient les escaliers au triple galop. Le public était enchanté.

mlevy
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