1
Cé qu'è lainô, le Maitre
dé bataille,
Que se moqué et se ri dé
canaille,
A bin fai vi, pè on desande nai,
Qu'il étivé patron dé
Genevoi. (Note)
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1
Celui qui est en haut, le Maître des
batailles,
Qui se moque et se rit des canailles
A bien fait voir, par une nuit de samedi,
Qu'il était patron des Genevois.
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2
I son vegnu le doze de dessanbro,
Pè onna nai asse naire que d'ancro;
Y étivé l'an mil si san et dou,
Qu'i veniron parla ou pou troi tou.
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2
Ils sont venus le douze de décembre,
Par une nuit aussi noire que d'encre;
C'était l'an mil six cent et deux,
Qu'ils vinrent parler un peu trop tôt.
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3
Pè onna nai qu'étive la pe naire,
I veniron; y n'étai pas pè
bairè:
Y étivé pè pilli nou maison,
Et no tüa sans aucuna raison.
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3
Par une nuit qui était la plus noire,
Ils vinrent; ce n'était pas pour boire:
C'était pour piller nos maisons,
Et nous tuer, sans aucune raison.
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4
Petis et grans, ossis an sevegnance:
Pè on matin d'onna bella demanze,
Et pè on zeur qu'y fassive bin frai,
Sans le bon Di, nos étivon to prai!
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4
Petits et grands, ayez en souvenance
Par un matin d'un beau dimanche,
Et par un jour où il faisait bien froid,
Sans le bon Dieu, nous étions tous pris!
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5
On vo dera qu'étai cela canaille.
Lou Savoyar contre noutra mouraille
Trai eitiellé on dressia et plianta,
Et par iqué dou san y son monta.
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5
On vous dira que c'était la canaille.
Les Savoyards contre notre muraille
Trois échelles ont dressé et
planté,
Et par là deux cents sont montés.
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6
Etian antra, veniron u courdegarda,
Yo i firon onna ruda montada.
Is avion tenaillé et marté
Qu'étivon fai avoi du boun acié,
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6
Etant entrés, ils vinrent au corps de garde
Où ils firent une rude montre.
Ils avaient des tenailles, des marteaux
Qui étaient faits avec du bon acier,
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7
Pè arraci lou cliou et lé saraille,
To lou verreu et tota la féraille
Qu'on rancontré an dé pari andrai,
Et qu'on bouté pè n'eitre pas surprai.
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7
Pour arracher les clous et les serrures,
Les verrous et toute cette ferraille
Qu'on rencontre en pareils endroits
Et qu'on met pour ne pas être surpris.
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8
On citablio is avivon forcia;
Et d'on petar qu'is avivon teria,
I coudavon deiza eitre à sevau:
I n'étivon pas assé monta yo.
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8
Ils avaient pénétré dans une
étable;
Et, avec un pétard qu'ils avaient tiré
Ils croyaient déjà être à
cheval:
Ils n'étaient pas assez montés haut.
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9
Sen Altessé dessu Pincha étive.
Yon d'antre leu s'ancoru pè li dire
Que le petar avai fai son aifour,
Qu'on alavé fare antra to le grou.
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9
Son Altesse se trouvait dessus Pinchat.
Un d'entre eux accourut pour lui dire
Que le pétard avait fait son effort,
Qu'on allait faire entrer tout le gros.
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10
Is avivon delé lanterne seurde
Contrefassion celé grousse greneuille.
Y étivé pè alla et vegni,
Pè que zamai nion lou pu décrevi.
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10
Ils avaient des lanternes sourdes;
Ils contrefaisaient les grosses grenouilles.
C'était pour aller et venir,
Sans que jamais on les pût découvrir.
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11
Picô vegnai avoi grande ardiesse.
Pè fare vi qu'il avai de l'adresse,
I volivé la pourta petarda:
Y et iqué yo i fu bin attrapa.
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11
Picot venait avec grande hardiesse.
Pour faire voir qu'il avait de l'adresse,
Il voulait faire sauter la porte:
Et c'est ici qu'il fut bien attrapé.
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12
I volivé fare de tala sourta
Qu'are volu tote eifondra la pourta,
Et l'are mé pè brelode et bocon;
Poi sare alla to drai dessu le pon.
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12
Il a voulu faire de telle sorte
Que toute la porte s'effondrât;
Il l'aurait mise en lambeaux et morceaux;
Puis serait allé tout droit sur le pont.
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13
Lou pon-levi, i lous arion bassia,
Arion outa to ce qu'are anpassia,
Pè fare antre l'escadron de Savoi.
Vo lou verri bin tou an désarroi.
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13
Les ponts-levis ils les auraient abaissés,
Ils auraient ôté tout ce qui les
gênait,
Pour faire entrer l'escadron de Savoie.
Vous les verrez bientôt en désarroi.
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14
Car on seudar qu'aperçu to sozice,
To bellaman bouta bas la coulice,
Poi va cria qu'y se fallai arma,
U atraman no sarion to tüa.
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14
Car un soldat qui aperçut tout cela,
Tout bellement bouta bas la coulisse,
Puis alla crier qu'il se fallait armer,
Ou autrement nous serions tous tués.
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15
I fu hassia queman delé harbette,
Poi anfela queman dés alüette
I fu créva queman on fier crapio,
Et poi saplia queman dés atrio.
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15
Il fut haché comme des herbettes,
Puis enfilé comme des alouettes;
Il fut crevé comme un fier crapaud,
Et puis taillé comme des atriaux.
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16
Drai u cliossi, on va sena 1'alarma;
En méme tan, on crie: "E armé!é
armé!"
De to andrai on vi dé zan sourti,
Que desivon: "Y fau vaincre u mouri."
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16
Droit au clocher, on va sonner l'alarme;
En même temps, on crie: "Aux armes, aux
armes!"
De tous endroits on vit des gens sortir
Qui disaient: "Il faut vaincre ou mourir!"
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17
Is alaron vitaman su la Treille;
Yon d'antre leu s'avança pé adresse:
Et fi alla queri lé mantelet
Pè s'an servi queman de parapet.
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17
Ils s'en allèrent vite sur la Treille;
Un d'entre eux s'avança avec adresse
Et fit aller chercher les mantelets
Pour s'en servir comme de parapets.
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18
I roulavon d'onna tala fouria!
Et pè bouneur is étivon rouillia;
I fassivon ancora mai de brui
Qu'on bovairon ato cin san chouari.
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18
Ils roulaient avec une telle furie!
Et par bonheur ils étaient tous
rouillés;
Ils faisaient encore plus de bruit
Qu'un bouvier avec cinq cents charrues.
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19
Pè cé moyan on prai le courdegarda,
Yo l'ennemi fassive bouna garda;
Le falliu bin quitta é Genevoi,
U désonneur de tota la Savoi.
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19
Par ce moyen on prit le corps de garde,
Où l'ennemi faisait bien bonne garde;
Il fallut le laisser aux Genevois,
Au déshonneur de toute la Savoie.
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20
Lou Savoyar vito priron la fouita,
Quant i viron ranversa la marmita
Yo is avion bouta couaire à dina
Pé to celeu qu'is avion ameina.
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20
Les Savoyards vite prirent la fuite,
Quand ils virent renverser la marmite
Où ils avaient mis cuire le dîner
Pour tous ceux qu'ils y avaient amenés.
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21
Is alaron vito à la Tartasse
Yo l'ennemi criave de gran raze:
"Vivé Espagne! Arri! Vive Savoi!
Y è orandrai qu'on tin lou Genevoi!"
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21
Ils se rendirent vite à la Tertasse
Où l'ennemi criait de grande rage:
"Vive Espagne! Hourra! Vive Savoie!
C'est maintenant qu'on tient les Genevois!"
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22
Lou Genevoi, qu'aviron gran corazo,
Firon bin vi qu'is étivon dé bravo,
De se batré contre dé zan arma
Dai le manton quanqué à leur cholar.
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22
Les Genevois, qui avaient grand courage,
Firent bien voir qu'ils étaient des braves,
De se battre contre des gens armés
Du menton et jusqu'aux souliers.
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23
On antandai ce vipère Alexandre
Que desivé: "Y ne vo fau ran crandre.
Las! mous anfan, dépassi de monta!
En paradi ze vo fai to alla."
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23
On entendait ce vipérin Alexandre,
Qui disait: "Il ne vous faut rien craindre.
Las! mes enfants, dépêchez de
monter
En paradis, je vous fais tous aller."
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24
Sen Altessé, an granda dilijance,
Onna pousta manda u rai de France:
Que Zeneva il avive surprai,
Que cela nai il y farai son liai.
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24
Son Altesse, avec grande diligence,
Envoya une poste au roi de France:
Que Genève il avait surpris,
Que cette nuit il y ferait son lit.
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25
"Vantre sin gris!" se di le rai de France,
"Que Zeneva se saye lassia prandre!
Las! mon couzin s'y è troi azarda;
I ne porra pas guéro la garda."
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25
"Ventre Saint-Gris!" se dit le roi de
France
"Que Genève se soit ainsi laissée
prendre!
Las! mon cousin s'y est trop hasardé;
Il ne pourra guère la conserver."
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26
An mémo tan, onna lettra arrive,
Que le couda fare créva de rire,
Que desivé: "Lou Savoyer son prai,
Lou Genevoi lou pandon orandrai."
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26
En même temps, une lettre arrive,
Dont il risqua fort de crever de rire.
Elle disait: "Les Savoyards sont pris,
Les Genevois les pendent maintenant."
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27
Mai vaissia bin dés atré
épenosse:
Quant i viron leu trai eitialla rotte
I ne povion désandre ne monta;
Y et iqué yo i furon donta.
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27
Cependant voici bien d'autres épisodes:
Quand ils virent leurs trois échelles rompues
Ils ne pouvaient descendre ni monter;
Et c'est ici qu'ils furent domptés.
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28
On leu dena d'abour la reveria:
Dé Genevoi i santiron l'épia,
Que freinavé d'onna bella façon.
I savion bin joui de l'espadon.
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28
On leur donna d'abord la réplique:
Des Genevois ils sentirent l'épée
Qui résonnait d'une belle façon.
Ils savaient bien jouer de 1'espadon.
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29
On Savoyar, uprè de la Mounia,
Y fu tüa d'on gran cou de marmita
Qu'onna fenna li accouilla dessu;
I tomba mour, frai et rai eitandu.
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29
Un Savoyard, auprès le la Monnaie
Fut tué d'un grand coup de marmite
Qu'une femme lui expédia dessus;
Il tomba mort, froid et raide étendu.
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30
Treize on an prai qu'étivon to an via;
I desivon: "De no ossi pedia!"
To an coudan qu'an payan leu rançon
I s'an irion saquion dan leu maison.
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30
On en prit treize qui étaient bien vivants;
Ils disaient: "De nous ayez pitié!"
Tout en croyant qu'en payant leur rançon,
Ils s'en iraient chacun dans leur maison.
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31
Mai le Conseil an granda dilijance
Fi leu procè, prononça leu sentance:
Qu'i sarion to pandu et eitranglia
Dessu l'Oyé, celi bio béluar.
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31
Mais le Conseil en grande diligence
Fit leur procès, prononça leur
sentence:
Qu'ils seraient tous pendus et
étranglés
Sur l'Oie, ce beau belluard (Note).
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32
Vaissia vegni Messieur de la Justice,
Et le cheuti que quemança de dire:
"La Bravada, va cria Tabazan!"
"Ouai, sans failli, Monsieur, z'i vai de
gran."
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32
Voici venir Messieurs de la Justice,
Et le sautier qui commença de dire:
"La Bravade, va quérir Tabazan!"
"Oui, sans faillir, Monsieur, j'y vais tout de
suite."
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33
"Te ne sa pas: y a bin de la besogne:
I son treizé qu'aron de la vergogne.
Y lou fau to pandré et eitranglia;
Dépasse-té, que ze m'an voi
alla."
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33
"Tu ne sais pas, il y a bien de la besogne:
Ils sont treize qui auront de la vergogne.
Il les faut tous pendre et étrangler.
Dépêche-toi, car je veux m'en
aller."
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34
Y fau bouta de l'oudre à la potance,
Et poi, avai dé courde an suffisance,
Pè lou gliéta et lou bin
garotta,
Qu'i ne poission ne veri ne torna."
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34
Il faut mettre de l'ordre à la
potence
Et puis avoir des cordes en suffisance,
Pour les lier et les bien garrotter,
Qu'ils ne puissent ni virer ni tourner."
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35
Vaqua parqué tota cela canaille
Recheutaron bin tou noutre mouraille.
En recheutan, i se rontion le cou,
Pè se garda du borro le licou.
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35
Voilà pourquoi toute cette canaille
A ressauté bientôt notre muraille.
En retombant ils se rompaient le cou,
Pour se garder du licou du bourreau.
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36
On accouilla de la paille anfaraye
Dian lou fossé, qu'è bintou allemaye.
On gaitivé avoi on gran plaisi
Que la frayeur lous avai to saisi.
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36
On jeta beaucoup de paille enflammée
Dans les fossés où elle s'est bientôt
allumée.
On voyait avec un grand plaisir
Que la frayeur les avait tous saisis.
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37
En attandan, i demandavon grasse,
Et priavon Noutra Dama de Grasse;
I fassivon le segno de la croai,
Pè se faré passa la frai dé dai.
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37
En attendant, ils demandaient grâce,
Et ils priaient Notre Dame de Grâce;
Et ils faisaient le signe de la croix
Pour se faire passer le froid des doigts.
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38
I desivon: "De no ossi pédia!
No vo priain de no sauva la via!"
Y étivé Sonas et Chaffardon
Que ne puron zin avai de pardon.
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38
Ils disaient: "De nous aussi ayez
pitié
Nous vous prions de nous sauver la vie!"
C'était Sonas et Chaffardon
Qui ne purent avoir aucun pardon.
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39
Y avai voui zeur que dedian cela vella,
On présidan de Chamberi la bella,
Fassai sanblian de rafraichi l'union,
Y vin trama voutra gran trehison.
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39
Il y avait huit jours qu'en cette ville,
Un président de Chambéry la belle,
Faisant semblant de rafraîchir l'union,
Vint tramer votre grande trahison.
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40
Vos aria to forcia, fenne et fellie;
Poi aria prai leu pe belle dépoille;
Et poi aprè, vo les aria tüa;
Lou Menistro, vo lous aria brula.
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40
Vous auriez tout forcé, femmes et filles;
Puis vous auriez pris leurs plus belles
dépouilles;
Et puis après vous les auriez tuées
Les Ministres vous les auriez brûlés.
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41
Lou Menistro qu'étivon lou pe jouanne,
Vo lous aria to ansaina ansanblio;
Dedian Roma vo lous aria meina
Pè lou montra à sa Satanita,
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41
Les Ministres qui étaient les plus jeunes,
Vous les auriez enchaînés tous ensemble;
A Rome vous les auriez menés,
Pour les montrer à sa Satanité,
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42
È cardinau et à la cardinaille,
Ès évèqué et à la
cafardaille,
Que lous arion écorcia to vi;
Su lou sarbon i lous arion ruti.
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42
Aux cardinaux et à la cardinaille,
Aux évêques et à la cafardaille,
Qui les auraient écorchés tout vifs;
Sur des charbons ils les auraient rôtis.
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43
Pè lou Seigneur, vos aria fai la feita;
Vo leu aria à to copa la teita;
Et poi, saria antra dan leu maison,
Et de leu bin aria prai à foison.
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43
Pour les Seigneurs, vous auriez fait la
fête;
Vous leur auriez à tous coupé la
tête;
Et puis, vous seriez entrés dans leurs
maisons;
Et de leur bien vous auriez pris à foison.
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44
Vos avia dai pè devan sen Altesse
Que vo n'aria pedia ne tandresse,
Que vo volia tüa gran et peti,
Nos eitranglia et fare to mori.
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44
Vous aviez dit par devant son Altesse
Que vous n'auriez ni pitié ni tendresse
Que vous vouliez tuer grands et petits,
Nous étrangler et nous faire tous mourir.
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45
On vo barra dé courdé apreiaye,
Que saron bin tordüe et bin felaye;
U bin petou, salada de Gascon:
La courde u cou pè dezo le manton.
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45
On vous donnera des cordes apprêtées,
Qui seront bien tordues et bien filées,
Ou bien plutôt, salade de Gascon:
La corde au cou par-dessous le menton.
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46
Tabazan vin an gran manifissance,
Et i leu fi à to la reverance;
I tenivé le sapé à la man:
"Que venia-vo faré icè,
galants?"
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46
Tabazan vint en grande magnificence,
Et il leur fit à tous la
révérence
Il tenait le chapeau à la main:
"Que veniez-vous faire ici, galants?"
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47
"No vegnivon pè fare santa messa
A San Pirou, le pe yo de la vella,
A San Zarvai et poi à San Zarman;
Ouai, san failli, monsu le Tabazan."
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47
"Nous venions pour faire la sainte messe
A Saint-Pierre, le plus haut de la ville,
A Saint-Gervais, et puis à
Saint-Germain,
Oui, sans faillir, Monsieur le Tabazan."
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48
"Passa devan, ze vo la derai bella,
Quan vo sari u sonzon de l'eitiella!
U bin petou, y sara lou corbai.
Vade-vo pas cui vos attandon lai?"
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48
"Passez devant, je vous la dirai belle,
Quand vous serez au sommet de
l'échelle!
Ou bien plutôt ce seront les corbeaux.
Voyez-vous pas qu'ils vous attendent
là."
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49
An vaiquia za onna terriblia tropa!
Lou vaide-vo lai qui son assanblia ora?
En vo mezan, i santeron: "Cro, cro!
Vo chouanti bin lé ravé u
barbo."
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49
En voici déjà une terrible troupe!
Les voyez-vous qui sont déjà
rassemblés là?
En vous mangeant, ils chanteront: "Cro, cro!
Vous sentez bien les raves bouillies."
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50
I desivon: "Santa Vierze Maria,
Qu'y vo plaisé de no avai pedia!"
Tabazan di: "La paciance me per,
Moda dansi onna allemande an l'er!"
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50
Ils disaient: "Sainte Vierge Marie
Qu'il vous plaise d'avoir pitié de
nous!"
Tabazan dit: "Je perds patience;
Allez danser une allemande en l'air."
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51
Que dera-t-ai, voutron Duc de Savoye?
I meudera le béluar de l'Oye;
Ze craye bin qu'i mourra de regret
De vo vi to pandu à on gibet.
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51
Que dira-t-il votre duc de Savoie?
Il maudira le belluard de l'Oie (Note);
Je crois bien qu'il va mourir de regret
De vous voir tous pendus à un gibet.
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52
Vos devria bin avai de la vergogne
De me vegni bailli tan de besogne,
Car ze m'an vai vo deiveti to nu,
Et vo faré à to montra le cu."
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52
Vous devriez bien avoir de la vergogne
De venir me donner tant de besogne,
Car je m'en vais vous dévêtir tout
nus,
Et à tous vous faire montrer le cul."
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53
Y an avai yon qu'avai la barba rossa,
Que fi quasi rire tota la tropa;
I desivé qu'i ne volive pas
Pè on valet, eitre tan yo monta.
|
53
Il y en avait un qui avait barbe rousse,
Qui fit presque rire toute la troupe;
Il disait qu'il ne voulait pas,
Par un valet être si haut monté.
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54
Mai Tabazan, que perdive paciance,
Cheuta dessu, et poi aprè l'eitranglie:
"Mourta la béque, et mourta le venin!
Te ne faré zamai ne ma ne bin!"
|
54
Mais Tabazan, qui perdait patience,
Sauta dessus, et puis après l'étrangle
"Morte la bête et mort le venin!
Tu ne feras plus jamais ni mal ni bien!"
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55
On leu trova dé beliet dan leu fatte,
Qu'is avion prai, afin qui lou sarmasse,
Mai le sarmo n'étive pas preu for
Pé lou povai garanti de la mor.
|
55
On leur trouva des billets dans leurs poches,
Qu'ils avaient pris, afin qu'ils les charmassent;
Mais le charme n'était pas assez fort
Pour les pouvoir les garantir de la mort.
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56
Is avion vu cori dé livre bliansse,
Dé petité asse bin que dé
grande,
Que ne fassion que torna et veri:
Firon manqua le cœur à Dalbigni.
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56
Ils avaient vu courir des lièvres blancs,
Des petits aussi bien que des grands,
Qui ne faisaient que tourner et virer:
Ils firent manquer le coeur à d'Albigny.
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57
I priron bin onna tala épovanta
Que la Joanesse avoi tota la banda,
Vattevillé, poi aprè Dandelo,
Fouyivon to queman fon lou levro.
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57
Ils prirent bien une telle épouvante
Que la Jeunesse avec toute la bande
Vatteville, puis après d'Andelot,
S'enfuyaient tous comme font les levrauts.
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58
Sen Altessé asse bin s'anfouyive
Et coudavé qu'aprè lui on corrive,
Don il était queman désespéra,
Ne sassan plié de quin couté alla.
|
58
Son Altesse, aussi bien, s'enfuyait
Et croyait qu'après lui on courait,
Ce dont il était comme
désespéré,
Ne sachant plus de quel côté aller.
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59
I desivé: "La poura matenaye!
Ma noblessé sara désonoraye
D'eitre passa pè la man dé
cortio,
Ancora pi, pé cela du borrio.
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59
Et il disait: "La pauvre matinée!
Ma noblesse sera déshonorée
D'étre passée par la main des
courtauds,
Encore pis, par celle du bourreau.
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60
Que dera-t-ai, celi gran rai de France,
Lou Hollandai et le prince d'Orange!
Que deront-ai ancora luos Angloi!
I se riron du gran Duc de Savoi!
|
60
Que dira-t-il, ce grand roi de France,
Les Hollandais et le prince d'Orange!
Que diront-ils encore les Anglais!
Ils se riront du grand duc de Savoie!
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61
Ze sai surprai d'onna granda tristesse
D'avai perdu la flieur de ma noblesse.
Le cœur me fau, vegni me secori,
Aporta-mé on pou de rossoli.
|
61
Je suis pris d'une grande tristesse
D'avoir perdu la fleur de ma noblesse.
Le coeur me manque, venez me secourir,
Apportez-moi un peu de rossolis.
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62
M'enfrémerai to solet dan ma sambra:
La vergogné n'an sara pas se granda;
Ze frémerai la pourta du
sâté,
Qu'on ne verra zin de zeur à
travé.
|
62
Je m'enfermerai tout seul dans ma chambre:
La vergogne n'en sera pas si grande;
Je fermerai la porte du château,
Qu'on ne verra point de jour à travers.
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63
Iqué dedian, ze farai
pénitance:
De tranta zeur ne mézerai pedance,
Segno qu'y sai dé ravé u barbo,
Trémé de tiu avoi dés
escargo."
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63
Ici dedans, je ferai pénitence:
De trente jours ne mangerai pitance
Sinon des raves bouillies,
Trognons de choux avec des escargots."
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64
Soissante-cha teite is on lassia
Que le borrio a copa et transsia,
Pè lé bouta su dou u trai
tiévron,
Pè lé montra à celeu que
veudron.
|
64
Soixante-sept têtes ils ont laissées,
Que le bourreau a coupées et tranchées
Pour les mettre sur deux ou trois chevrons,
Pour les montrer à ceux qui voudront.
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65
On vo dera que tota la preitraille,
Prè de Tonon, u covan de Ripaille,
Y firon lai leu conspiracion,
Mai le bon Di ronpi leu trahison. |
65
On vous dira que toute la prêtraille,
Près de Thonon, au couvent de Ripaille,
Firent là leur conspiration,
Mais le Bon Dieu rompit leur trahison.
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66
Il a fai vi qu'avoi on pou de paille
I povivé ranvarsa la canaille
Que vegnivé profana son Sain Non,
Et se moqua de la religion.
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66
Il a fait voir qu'avec un peu de paille,
Il pouvait renverser la canaille
Qui venait profaner son Saint Nom,
Et se moquer de la Religion.
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67
Pè sous anfan il a de la tandresse,
A bin volu se bouta à la brèche
Et ranversa lous ennemi mordan
Que vegnivon fare lous arrogan.
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67
Pour ses enfants il a de la tendresse,
A bien voulu se mettre à la brèche,
Et renverser les ennemis mordants,
Qui venaient faire les arrogants.
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68
Dedian sa man il y tin la victoire,
A lui solet en démure la gloire.
A to zamai son Sain Non sai begni!
Amen, amen, ainsi, ainsi soit-y!
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68
Dedans sa main il tient la victoire,
A lui seul en demeure la gloire.
A tout jamais son Saint Nom soit béni,
Amen, amen, ainsi, ainsi soit-il!
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