La Liberté, Fribourg, 7 avril 2018

La misère sous toutes ses formes (1)

     "La période des actions de Carême est passée. La pyramide des misères demeure.

     J’étais à Tucson. Mes hôtes m’avaient dit: «Va en voiture, si tu marches la police pourrait t’arrêter.» Je n’ai ni obtempéré ni rencontré la police, mais un adolescent qui m’a proposé de lui acheter des livres. J’ai refusé. Il m’a dit faiblement: «J’ai faim.» Sceptique, je lui ai proposé d’aller dans un resto. Bouleversement de toute ma personne: j’étais projeté avec violence dans Les raisins de la colère. Je n’avais jamais vu manger un homme dévoré par la faim.

     Alors que je faisais le plein d’essence à Los Angeles, un type est tombé à genoux devant moi, les jambes écartées et les mains jointes. Il m’a supplié de lui donner du travail. Pas de salaire, juste de la nourriture. Les pauvres ça fait peur; Rimbaud: «C’est la Crapule, Sire. Ça bave aux murs, ça monte, ça pullule. Puisqu’ils ne mangent pas, Sire, ce sont des gueux!» Fallait-il dire que je n’étais pas d’ici, que ce n’était pas mon problème et que mon avion partait le lendemain? La misère au Pays de Canaan est atroce.

     C’était en Anatolie. Avec des cris et de la précipitation on m’avait embarqué dans une petite voiture et déposé à l’hôpital. Je ne me souviens ni du trajet, ni de mon arrivée, ni des premiers soins. Mon matelas était crasseux, couvert de sanie et de sang séché.  J’entends toujours les gémissements des malades qui réclamaient à boire: «su! su!» Il n’y avait pas d’eau dans cet hôpital. Mais on y sentait la fraternité des souffrances et de la pauvreté. Un vieillard m’a donné la moitié de son bouquet de violettes. J’ai pleuré."  

     Pierre Perroud

     (1) Titre de la Rédaction.

 

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