PRÉFACE
Du Traité de la Versification Françoise.UN célébre Ecrivain (*) ne veut pas qu'on montre la route de la Poësie a beaucoup de personnes; parce, dit-il, qu'il est bien plus important qu'il n'y ait point de méchans Poëtes, qu'il n'est nécessaire qu'il y ait des Poëtes. Il défend sur-tout d'enseigner aux enfans cet Art, qui demande toute la force de leur esprit.
Il seroit peut-être à souhaiter, en effet, que ceux
Qui prennent pour génie un amour de rimer,
ignorassent les régles de la Poësie Françoise.
Cet Auteur convient cependant des avantages qu'un honnête homme peut retirer de la connoissance de la Versification, qui est bien différente de la Poësie. Je vais plus loin, & j'ose avancer qu'on ne peut mériter le titre d'homme de lettres, si l'on n'est instruit au moins de l'Art de faire des vers dans sa propre Langue. Car, pour ne point parler des Poëtes, dont il est impossible de sentir toutes les beautés, & toute l'énergie, si l'on ignore la structure des vers qu'ils emploient, qui doute que cette connoissance ne soit très-utile pour lire les Auteurs mêmes qui ont écrit en Prose? Il est d'autant plus honteux à un François d'ignorer les régles de la Versification Françoise, que cette science, s'il est permis de lui donner un nom aussi honorable, n'exige qu'un médiocre travail.
On pourroit s'étonner que dans la plupart des Colléges on prive les enfans d'une connoissance qui leur coûteroit si peu. Mais il faut faire attention que les Colléges ne sont destinés qu'à leur ouvrir la porte des Langues sçavantes & des études plus sérieuses. Quelque espace de temps que l'on emploie à courir cette carriere, la plupart s'y présentent avec si peu de talens, ou si peu d'inclination, que loin de s'y distinguer, à peine croiroit-on qu'ils ont commencé à la parcourir, quand leur course est achevée. D'ailleurs, la Versification Françoise est si séduisante, que peu d'Ecoliers se borneroient à y donner le temps nécessaire. Heureux, s'ils n'en faisoient pas un abus plus fatal, en consacrant un Art, innocent de lui-même, à la Satyre, peut-être même à la calomnie.
C'est donc après être sorti du Collége, qu'il est à propos de s'appliquer à la Versification; non pas pour faire des vers, mais pour en sçavoir juger, & même pour les éviter dans la Prose. S'il est honteux de faire de méchans vers, il ne l'est peut-être pas moins de n'en sçavoir pas faire. On a si fort multiplié les secours qui conduisent à cette connoissance, qu'on est sans excuse, quand on ne l'a pas acquise. On espere que ce petit Traité ne laissera rien à desirer sur ce sujet.(*) M. Fleury, Traité des Études.