Athena s'apprêtant à écrire
Athena getting ready to write

A T H E N A


[Préfaces au] Dictionnaire des Rimes par P. Richelet

ii Avertissement
vii Avis
xiii Table des terminaisons françoises
xv Histoire de la rime
xviii Préface du Traité de la Versification Françoise
xxTraité de la Versification Françoise
xxi Des diverses sortes de vers
xxi De la césure
xxvi Du concours des voyelles appelé hiatus
xxix De l'enjambement du vers
xxxi Des inversions ou transpositions
xxxv De la rime
xxxvii Observations diverses sur la Rime.
xxxviii De la ime du Simple & du Composé
xxxviii De la Rime de l'L mouillée
xxxix Si un mot peut rimer avec lui-même
xxxix De la Rime des Syllabes longues & breves
xl Observation sur le mot Etes
xl De la Rime des Monosyllabes
xli De la Rime des Hémistiches
xlii Du Mêlange des Rimes
xliii Des vieilles Rimes
xlv Des Stances
xlvi Des Quatrains, & comment on les fait
xlvii Des Stances de quatre vers
xlix Des Stances de six vers
li Des Stances de huit vers
lii Des Stances de dix vers
liii Des Stances de douze vers
liv Des Stances de quatorze vers
liv Des Stances de nombre impair
lv Du Retranchement de quelques lettres dans la Poësie
lvii Des Termes nobles et des Termes bas dans la Poësie
lix Du nombre des syllabes de certains mots
lxii De la cadence et des images dans la Poësie.
lxvii De plusieurs Poëmes ou pieces de Poësie remarquables
lxvii Du sonnet
lxx Du Rondeau
lxxii Du rondeau redoublé
lxxiv Du Triolet
lxxv Du Madrigal
lxxv De la Ballade
lxxix Du Chant Royal
lxxix Du Lay
lxxix Du Virelay
lxxx De la Villanelle

 

 

DU NOMBRE DES SYLLABES DE CERTAINS MOTS.

        Eau est d'une syllabe. Eau, tableau, pinceau, &c. Le P. Mourgues excepte fléau & perdreau, qui font deux syllabes. C'est apparemment, dit-il, à cause des consonnes fl, dr, qui ayant chacune leur son fort distinct, chargeroient trop la syllabe, où elles seroient suivies de la triphthongue eau. Cependant eau dans sceau, chevreau, lapreau ne fait qu'une syllabe. Je crois qu'il en est de même de perdreau. Fléau est véritablement de deux syllabes.
        Eo fait deux syllabes. Eole, Géographe, Géométre, Geolier, &c.
        Ia dans viande, liard, diable, fiacre, bréviaire, ne fait qu'une syllabe. Il en fait deux dans vi-age, di-amant, mi-auler, bi-ais, galimathi-as. Ia peut ne faire qu'une syllabe dans ce dernier mot. Il en fait deux dans les participes & les gérondifs: oubli-ant, li-ant, &c.
        Ié, iez, est d'une syllabe dans les substantifs, pitié, moitié, amitié, &c. piece, relief. Dans les verbes il en fait deux: li-é, justifi-é, vous oubliez, &c. Dans l'imparfait des indicatifs & des subjonctifs il n'en fait qu'une, vous disiez, vous sentiriez, &c. Bri-ef, & gri-ef font deux syllabes à cause des consonnes br & gr.
        Iel, ielle, est de deux syllabes, essenti-el, kyri-elle, exepté dans ciel, fiel, miel.
        Ien dans les verbes & dans les substantifs ne fait qu'une syllabe, bien, combien, rien, mien, je tiens, je me souviens, soutien; excepté li-en, & gardi-en, ancien (il peut être d'une syllabe dans ce dernier mot) & les noms qui désignent la qualité ou la patrie de quelqu'un:Phrygi-en, Syri-en, Itali-en, Physi-ci-en, Grammairi-en, Prati-ci-en, (a) & les noms propres, Appi-en, Quintili-en, Félibi-en.
        Richelet dit que sur la terminaison ien il a consulté "M. d'Ancour, parce qu'il écrit agréablement solidement en vers en prose, qui pense qu'autant qu'il étoit possible, on en devoit faire qu'une syllabe; à cause que la prononciation étoit plus douce & plus naturelle d'en user de la force. Je serois volontiers de cet avis, ajoute Richelet, la raison le favorise, & peut-être que l'usage prendra bientôt le parti de la raison en faveur de quelques-uns de ces mots. Gardien semble du moins aussi doux de deux syllabes que de trois, & magicien de trois que de quatre. Quiconque a un peu d'oreille sent cela, & en matiere du nombre des syllabes, l'oreille en est le principal juge. Heureux qui l'a bonne".
        Je voudrois du moins q'on laissât aux poëtes la liberté de faire une ou deux syllabes de cette terminaison, suivant que la mesure du vers le demanderoit, & que l'oreille y sembleroit consentir. Si M. l'Abbé du Resnel eût eu cette liberté, je ne doute point qu'il n'eût changé le second de ces vers:
        Par l'ordre ingénieux qui regne en ses écrits,
        Le grand Quintilien s'empare des esprits.
        Traduction de l'Essai de Pope sur la Critique.
        Quintilien étoit sans doute un habile Rhéteur, & un Critique judicieux. Mais je doute qu'on puisse dire, le grand Quintilien (b). A peine souffriroit-on qu'on donnât cette qualité à ceux qui ont excellé dans le sublime, tels qu'Homere, Virgile, Démosthêne, Cicéron, parmi les anciens. A l'égard des modernes, il semble que l'on a été un peu plus indulgent à leur prodiguer cette épithéte. Car, sans parler du grand Arnauld, on dit le grand Bossuet, le grand Corneille, &c. L'usage ne permet pas de dire le grand Racine, &c. on doit encore moins donner cette qualité à un Rhéteur, quelqu'estimable qu'il soit. Ainsi M. l'Abbé du Resnel auroit peut-être mieux fait de dire, au hasard de prendre une licence:
        Par l'ordre ingénieux qui regne en ses Ecrits,
        
Le sage Quintilien s'empare des esprits.
        Du moins auroit-il eu pour lui le P. Bouhours, qui dans le monument qu'il dressa à la mémoire de Moliere, ne fit que trois syllabes de Comédien. En quoi il n'a pas été repris de Ménage, alors son ennemi, & qui a critiqué cette petite Piece avec beaucoup de sévérité.
        Il est libre de faire ancien de deux ou trois syllabes. Ier, iere est d'une syllabe dans les noms: métier, courier, altier, grossier, &c. lumiere, carriere, excepté dans les mots où se trouve l'une des deux consonnes douces ou liquides, l, & r, précédée d'une consonne muette dans la même syllabe; comme meurtri-ere, pri-ere, &c. Hier est de deux syllabes, mais il n'en fait qu'une dans avant-hier:
        Le bruit court qu'avant-hier on vous assassina.
        Richelet fait deux syllabes d'ier dans Géoli-er, parce, dit-il, que dans ce mot il est plus doux de faire ier de deux syllabes; il se trompe doublement.
        Ier est de deux syllabes dans les verbes li-er, humili-er, justifi-er, &c.
        Ierre est d'une syllabe: Pierre, bierre. Il est permis d'en faire deux dans li-erre.
        Iete est d'une syllabe: diete, assiete.
        Ieu, ieux est d'une syllabe dans les substantifs: Dieu, lieu, milieu, yeux, lieux; & de deux dans tous les adjectifs, ambiti-eux, envi-eux, préci-eux, excepté vieux qui est monosyllabe. Mieux n'est aussi que d'une syllabe.
        Ievre est d'une syllabe: lievre, fievre, rue de Bievre.
        Io de deux syllabes: vio-le, violent, vio-lon.
        Iole d'une syllabe dans babiole, fiole; de deux dans Avi-ole, nom d'homme.
        Ion dans les noms est de deux syllabes: ambiti-on, prétenti-on, Api-on, Ari-on, Ori-on. Il en fait deux dans les verbes terminés en ier, humili-ons, oubli-ons. Mais dans les verbes qui ne sont pas terminés en ier il n'en fait qu'une: nous voulions, nous trouvions; à moins qu'il n'y ait l'une des deux consonnes l ou r, précédée d'une consonne muette, comme voudrions, soumettrions, &c.
        Ménage [d'après Ronsard, en la Préface de la Franciade] voudroit qu'on n'employât jamais à la fin du vers, des mots en ion de plus de trois syllabes. Mais son goût n'est pas une loi. Ambition, illusion, &c. finissent noblement le vers. La regle de Ménage peut être bonne à l'égard des mots en ion, qui ont plus de quatre syllabes.
        Ius de deux syllabes:
        Appi-us, Ari-us, Janféni-us. Baius n'est que de deux syllabes
        Oe est de deux syllabes dans No-é, No-ël, Po-ëte, Po-ëme, Po-ësie, & d'une seulement dans coeffe, boette, poelle, moelle.
        Oué, ouer de deux syllabes: avoué, dévouer. Fouet monosyllabe
        Oui, ouir toujours de deux syllabes: Lou-is, éblou-ïr, jou-ïr, évanou-ïr; excepté dans bouis, & dans l'affirmative oui.
        Ua est de deux syllabes: situ-a, prostitu-a, Gargantu-a. Quelques-uns n'en font qu'une dans persuader. Racine, qui n'en a fait qu'une dans ce vers:
        Vous le souhaitez trop pour me le persua-der,
en a fait deux dans celui-ci:
        Il suffit de tes yeux pour l'en persu-ader
        Dans la passion, il est à propos, ce me semble, de n'en faire qu'une syllabes, comme a fait Racine au premier vers. En général il faut faire deux syllabes.
        Ué, uée, uet, uel, toujours de deux syllabes, situ-é, prostitu-é, muet, sensuel, &c.
        Ui, d'une syllabe: aujord'hui, ennui, fui, lui, luire, introduire, muid, fuite, poursuite, suivre, cuivre; excepté dans pitu-ite, & dans ru-ine, malgré la liberté que prennent quelques Auteurs de n'en faire qu'une syllabe dans ce dernier mot.
        Uon de deux syllabes: Tu-ons, situ-ons, prostitu-ons.
        L'e muet ou obscur dans un nom, & précédé d'une voyelle, ne fait ni n'aide à faire aucune syllabe; comme dans, paiement, enjouement, louera, j'oublierai, &c. Cet e même ne se prononce ni en vers ni en prose.

        (a) Racine a fait Praticien de trois syllabes seulement dans ce vers des Plaideurs;
        Va, je t'arracherai le Praticien François.
        C'est que ce mot devient alors purement substantif.
        (b) Despréaux l'a proscrit formellement dans sa Dissertation sur Joconde.