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Légende de la Chambre des Demoiselles à Étretat a paru dans le Mercure de France du 15 décembre 1922.


LÉGENDE DE LA CHAMBRE
DES DEMOISELLES À ÉTRETAT


Lentement le flot arrive
                    Sur la rive
Qu'il berce et flatte toujours.
C'est un triste chant d'automne
                    Monotone
Qui pleure après les beaux jours.

Sur la côte solitaire
                    Est une aire
Jetée au-dessus des eaux ;
Un étroit passage y mène,
                    Vrai domaine
Des mauves et des corbeaux.

C'est une grotte perdue,
                    Suspendue
Entre le ciel et les mers,
Une demeure ignorée
                    Séparée
Du reste de l'univers.

Jadis plus d'une gentille
                    Jeune fille
Y vint voir son amoureux ;
On dit que cette retraite
                    Si discrète
A caché bien des heureux.

On dit que le clair de lune
                    Vit plus d'une
Jouvencelle au coeur léger
Prendre le sentier rapide,
                    Intrépide
Insouciante au danger.

Mais comme un aigle tournoie
                    Sur sa proie,
Les guettait l'ange déchu,
Lui qui toujours laisse un crime
                    Où s'imprime
L'ongle de son pied fourchu.

Un soir près de la colline
                    Qui domine
Ce roc au front élancé,
Une fillette ingénue
                    Est venue
Attendant son fiancé.

Or celui qui perdit Eve,
                    Sur la grève
La suivit d'un pied joyeux ;
"Hymen, dit-il, vous invite,
                    "Venez vite,
"La belle fille aux doux yeux,

"Là-bas sur un lit de roses
                    "Tout écloses
"Vous attend le jeune Amour ;
"Pour accomplir ses mystères
                    "Solitaires
"Il a choisi cette tour."

Elle était folle et légère,
                    L'étrangère,
Hélas, et n'entendit pas
Pleurer son ange fidèle,
                    Et près d'elle
Satan qui riait tout bas.

Car elle suivit son guide
                    Si perfide
Et par le sentier glissant.
                    Bat la rive
Mais lui, félon, de la cime,
                    Dans l'abîme
Il la jeta, - Dieu Puissant !

Son ombre pâle est restée
                    Tourmentée,
Veillant sur l'étroit chemin.
Sitôt que de cette roche
                    On approche
Elle étend sa blanche main.

Depuis qu'en ces lieux, maudite
                    Elle habite,
Aucun autre n'est tombé.
C'est ainsi qu'elle se venge
                    De l'archange
Auquel elle a succombé.

Allez la voir, Demoiselles,
                    Jouvencelles
Que mon récit attrista,
Car pour vous la renommée
                    L'a nommée
Cette grotte d'Étretat !

A son pied le flot arrive
                    Bat la rive
Qu'il berce et flatte toujours.
C'est un triste chant d'automne
                    Monotone
Qui pleure après les beaux jours.

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