Athena s'apprêtant à écrire
Athena getting ready to write

A T H E N A


VOLTAIRE

(1694 - 1778)

Largillière/P.P.
Nicolas de Largillière: Portrait de Voltaire (détail)
Institut et Musée Voltaire, Genève, CH.

 

E P Î T R E
DE
MR. DE VOLTAIRE
A SON ALTESSE
MADAME LA DUCHESSE
DU MAINE,
SUR LA
BATAILLE
DE LAUFELDT,
Gagnée par
L O U I S XV
Le 2. Juillet 1747.

(éd. 1748, à Amsterdam - coll. P.P.)
(Orthographe de l'édition respectée)

 Numérisation rtf: Aurélia Ionta & Matylda Kleczkowski -  Version html à ATHENA:

rainbow

     AUguste Fille & Mere de Héros,
Vous ranimez ma voix faible & cassée,
Et vous voulez que ma Muse lassée
Comme LOUIS ignore le repos:
D'un craïon vrai vous m'ordonnez de peindre
Son coeur modeste & ses brillans exploits,
Et CUMBERLAND que l'on a vû deux fois
Chercher le Roi, l'admirer & le craindre;
Mais des bons Vers l'heureux tems est passé,
L'art des combats est l'art où l'on excelle,
Notre Alexandre en vain cherche un Apelle;
LOUIS s'éleve, & le siécle est baissé:
De Fontenoy, le nom plein d'harmonie,
Pouvait au moins seconder le génie;
Boileau pâlit au seul nom de Narden,
Que diroit-il, sinon loin d'Helderen
Il eût falu suivre entre les deux Nethes
Bathiany si savant en Retraites,
Avec d'Estrées à Rosmal s'avancer?
La gloire parle, & LOUIS me réveille;
Le nom du Roi charme toujours l'oreille,
Mais que Laufeldt est rude à prononcer!
Puis quand ma voix par ses faits enhardie
L'auroit chanté sur le plus noble ton,
Qu'auroit-il fait? blesser sa modestie,
Sans ajoûter à l'éclat de son nom;
De votre Fils, je connais l'indulgence,
Il agréra mon inutile encens;
Car la bonté, la soeur de la vaillance,
De vos Aïeux passa dans vos Enfans;
Mais tout Lecteur n'est pas si débonnaire;
Et si j'avais, peut-être téméraire,
Representé vos fiers Carabiniers,
Donnant l'exemple aux plus braves Guerriers;
Si je peignois ce soutien de nos Armes,
Ce petit-Fils, ce Rival de Condé;
Du Dieu des Vers, si j'étais secondé,
Comme il le fut par le Dieu des allarmes,
Plus d'un Censeur encore avec dépit
M'accuseroit d'en avoir trop dit.
     Très-peu de gré, mille trait de Satire,
Sont le loïer de quiconque ose écrire.
Mais pour son Prince il faut savoir souffrir,
Il est par-tout des risques à courir;
Et la censure avec plus d'injustice
Va tous les jours acharner sa malice
Sur des Héros, dont la fidélité
L'a mieux servi que je ne l'ai chanté.
     Auteurs du tems, rompez donc le silence,
Osez sortir d'une Morne indolence;
Quand LOUIS vole à des périls nouveaux,
Si les La Tour, ainsi que les Vanloos,
Peignent ses traits qu'un Peuple heureux adore,
Peignez son ame, elle est plus belle encore;
Representez ce Conquérant humain,
Offrant la Paix le Tonnerre à la main:
Ne loüez point, Auteurs, rendez justice;
Et comparant aux siécles reculez,
Le siécle heureux, les jours dont vous parlez,
Lisez César, vous connaîtrez MAURICE.
     Si de l'Etat vous aimez les vengeurs,
Si la Patrie est vivante en vos coeurs,
Voïez le Chef, dont l'active prudence,
Venge à la fois, Génes, Parme & la France:
Chantez Belle-Isle; élevez dans vos Vers
Un Monument au généreux Bouflers:
Il est d'un Sang qui fut l'apui du Trône;
Il eut pû l'être, & la faulx du trépas
Tranche ses jours échapez à Bellone,
Au sein des Murs délivré par son bras:
Mais quelle voix assez forte, assez tendre,
Saura gémir sur l'héroïque cendre
De ces Guerriers que Mars priva du jour
Aux yeux d'un Roi, leur Pere & leur amour!
     O vous, sur-tout, infortuné Baviére,
Jeune Froulay, si digne de nos pleurs,
Qui chantera votre vertu guerriére!
Sur vos Tombeau qui répendra des fleurs!
Anges des Cieux, Puissances immortelles,
Qui présidez à nos jours passagers,
Sauvez Lautrec au milieu des dangers,
Mettez Ségur à l'ombre de vos aîles;
Déja Rocoux vit déchirer son flanc;
Aïez pitié de cet âge si tendre,
Ne versez pas les restes de ce Sang,
Que pour LOUIS il brûle de répandre:
De cent Guerrriers conservez les beaux jours;
Ne frapez pas Bonac & d'Aubeterre,
Plus accablez sous de cruels secours
Que sous les coups des foudres de la Guerre.
     Mais, me dit-on, faut-il à tout propos
Donner en Vers des Liftes de Héros;
Sachez qu'en vain l'Amour de la Patrie
Dicte vos Vers au vrai seul consacrez;
On flâte peu ceux qu'on a célébrez,
On déplaît fort à tous ceux qu'on oublie.
     Ainsi toujours le danger suit mes pas:
Il faut livrer presque autant de Combats,
Qu'en a causé sur l'Onde & sur la Terre,
Cette Balance utile à l'Angleterre.
     Cessez, cessez, digne sang de BOURBON,
De ranimer mon timide Apollon,
Et laissez-moi tout entier à l'Histoire,
C'est-là qu'on peut, sans génie & sans art,
Suivre LOUIS de l'Escaut jusqu'au Jart.
Je dirai tout, car tout est à sa gloire;
Il fait la mienne, & je me garde bien
De ressembler à ce grand Satirique,
De son Héros discret Historien ,
Qui pour écrire en stile véridique
Fut bien païé, mais qui n'écrivit rien.

F I N.