Athena s'apprêtant à écrire
Athena getting ready to write

A T H E N A



LES FLEURS DU MAL

Dédicace
Au Lecteur

SPLEEN ET IDEAL
I Bénédiction
II L'Albatros
III Elévation
IV Correspondances
V
VI Les Phares
VI Les Phares
VII La Muse malade
VIII La Muse vénale
IX Le Mauvais Moine
X. L'Ennemi
XI. Le Guignon
XII. La Vie antérieure
XIII Bohémiens en Voyage
XIV. L'Homme et la Mer
XV. Don Juan aux Enfers
XVI. Châtiment de l'Orgueil
XVII La Beauté
XVIII L'Idéal
XIX. La Géante
XX. Le Masque
XXI. Hymne à la Beauté
XXII. Parfum exotique
XXIII La Chevelure
XXIV
XXV
XXVI Sed non satiata
XXVII
XXVIII Le Serpent qui danse
XXIX Une Charogne
XXX De profundis clamavi
XXXI Le Vampire
XXXII
XXXIII Remords posthume
XXXIV Le Chat
XXXV Duellum
XXXVI Le Balcon
XXXVII Le Possédé
XXXVIII Un Fantôme
    XXXVIII I Les Ténèbres
    XXXVIII II Le Parfum
    XXXVIII III Le Cadre
    XXXVIII IV Le Portrait
XXXIX
XL Semper Eadem
XLI Tout entière
XLII
XLIII Le Flambeau vivant
XLIV Réversibilité
XLV Confession
XLVI L'Aube spirituelle
XLVII Harmonie du Soir
XLVIII Le Flacon
XLIX Le Poison
L Ciel brouillé
LI Le Chat
LII Le Beau Navire
LIII L'Invitation au Voyage
LIII L'Invitation au Voyage
LIV L'Irréparable
LV Causerie
LVI Chant d'Automne
LVII A une Madone
LVIII Chanson d'Après-midi
LIX Sisina
LX Franciscae meae laudes
LXI A une Dame créole
LXII Moesta et errabunda
LXIII Le Revenant
LXIV Sonnet d'Automne
LXV Tristesses de la Lune
LXVI Les Chats
LXVII Les Hiboux
LXVIII La Pipe
LXIX La Musique
LXX Sépulture
LXXI Une Gravure fantastique
LXXII Le Mort joyeux
LXXIII Le Tonneau de la Haine
LXXIV La Cloche fêlée
LXXV Spleen
LXXVI Spleen
LXXVII Spleen
LXXVIII Spleen
LXXIX Obsession
LXXX Le Goût du Néant
LXXXI Alchimie de la Douleur
LXXXII Horreur sympathique
LXXXIII L'Héautontimorouménos
LXXXIV L'Irrémédiable
LXXXV L'Horloge

TABLEAUX PARISIENS
LXXXVI Paysage
LXXXVII Le Soleil
LXXXVIII A une Mendiante rousse
LXXXIX Le Cygne
XC Les Sept Vieillards
XCI Les Petites Vieilles
XCII Les Aveugles
XCIII A une Passante
XCIV Le Squelette laboureur
XCV Le Crépuscule du Soir
XCVI Le Jeu
XCVII Danse macabre
XCVIII L'Amour du Mensonge
XCIX
C
CI Brumes et Pluies
CII Rêve parisien
CIII Le Crépuscule du Matin

LE VIN
CIV L'Ame du Vin
CV Le Vin des Chiffonniers
CVI Le Vin de l'Assassin
CVII Le Vin du Solitaire
CVIII Le Vin des Amants

FLEURS DU MAL
CIX La Destruction
CX Une Martyre
CXI Femmes damnées
CXII Les Deux Bonnes Sœurs
CXIII La Fontaine de Sang
CXIV Allégorie
CXV La Béatrice
CXVI Un Voyage à Cythère
CXVII L'Amour et le Crâne

REVOLTE
CXVIII Le Reniement de Saint Pierre
CXIX Abel et Caïn
CXX Les Litanies de Satan

LA MORT
CCXXI La Mort des Amants
CXXII La Mort des Pauvres
CXXIII La Mort des Artistes
CXXIV La Fin de la Journée
CXXV Le Rêve d'un Curieux
CXXVI Le Voyage


SPLEEN ET IDEAL

I Bénédiction

Lorsque, par un décret des puissances suprêmes,
Le Poète apparaît en ce monde ennuyé,
Sa mère épouvantée et pleine de blasphèmes
Crispe ses poings vers Dieu, qui la prend en pitié:

-"Ah! que n'ai je mis bas tout un nœud de vipères,
Plutôt que de nourrir cette dérision!
Maudite soit la nuit aux plaisirs éphémères
Où mon ventre a conçu mon expiation!

Puisque tu m'as choisie entre toutes les femmes
Pour être le dégoût de mon triste mari,
Et que je ne puis pas rejeter dans les flammes,
Comme un billet d'amour, ce monstre rabougri,

Je ferai rejaillir ta haine qui m'accable
Sur l'instrument maudit de tes méchancetés,
Et je tordrai si bien cet arbre misérable,
Qu'il ne pourra pousser ses boutons empestés!"

Elle ravale ainsi l'écume de sa haine,
Et, ne comprenant pas les desseins éternels,
Elle-même prépare au fond de la Géhenne
Les bûchers consacrés aux crimes maternels.

Pourtant, sous la tutelle invisible d'un Ange,
L'Enfant déshérité s'enivre de soleil
Et dans tout ce qu'il boit et dans tout ce qu'il mange
Retrouve l'ambroisie et le nectar vermeil.

Il joue avec le vent, cause avec le nuage,
Et s'enivre en chantant du chemin de la croix;
Et l'Esprit qui le suit dans son pèlerinage
Pleure de le voir gai comme un oiseau des bois.

Tous ceux qu'il veut aimer l'observent avec crainte,
Ou bien, s'enhardissant de sa tranquillité,
Cherchent à qui saura lui tirer une plainte,
Et font sur lui l'essai de leur férocité.

Dans le pain et le vin destinés à sa bouche
Ils mêlent de la cendre avec d'impurs crachats;
Avec hypocrisie ils jettent ce qu'il touche,
Et s'accusent d'avoir mis leurs pieds dans ses pas.

Sa femme va criant sur les places publiques:
"Puisqu'il me trouve assez belle pour m'adorer,
Je ferai le métier des idoles antiques,
Et comme elles je veux me faire redorer;

Et je me soûlerai de nard, d'encens, de myrrhe,
De génuflexions, de viandes et de vins,
Pour savoir si je puis dans un cœur qui m'admire
Usurper en riant les hommages divins!

Et, quand je m'ennuierai de ces farces impies,
Je poserai sur lui ma frêle et forte main;
Et mes ongles, pareils aux ongles des harpies,
Sauront jusqu'à son cœur se frayer un chemin.

Comme un tout jeune oiseau qui tremble et qui palpite,
J'arracherai ce cœur tout rouge de son sein,
Et, pour rassasier ma bête favorite
Je le lui jetterai par terre avec dédain!"

Vers le Ciel, où son œil voit un trône splendide,
Le Poète serein lève ses bras pieux
Et les vastes éclairs de son esprit lucide
Lui dérobent l'aspect des peuples furieux:

-"Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance
Comme un divin remède à nos impuretés
Et comme la meilleure et la plus pure essence
Qui prépare les forts aux saintes voluptés!

Je sais que vous gardez une place au Poète
Dans les rangs bienheureux des saintes Légions,
Et que vous l'invitez à l'éternelle fête
Des Trônes, des Vertus, des Dominations.

Je sais que la douleur est la noblesse unique
Où ne mordront jamais la terre et les enfers,
Et qu'il faut pour tresser ma couronne mystique
Imposer tous les temps et tous les univers.

Mais les bijoux perdus de l'antique Palmyre,
Les métaux inconnus, les perles de la mer,
Par votre main montés, ne pourraient pas suffire
A ce beau diadème éblouissant et clair;

Car il ne sera fait que de pure lumière,
Puisée au foyer saint des rayons primitifs,
Et dont les yeux mortels, dans leur splendeur entière,
Ne sont que des miroirs obscurcis et plaintifs!"