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A T H E N A


Montesquieu

Lettres persanes

- Lettres persanes
- Table des matières
- Introduction
- Quelques réflexions sur les lettres persanes

Lettres
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- André Lefèvre: Notes et variantes
- André Lefèvre: Index des Lettres persanes
- Marcel Devic: Le calendrier persan
- Ouvrages de André Lefèvre

 

LETTRE LVIII.

RICA A RHEDI.

A Venise.

            A Paris, mon cher Rhédi, il y a bien des métiers. Là un homme obligeant vient, pour un peu d'argent, vous offrir le secret de faire de l'or.
            Un autre vous promet de vous faire coucher avec les esprit aériens, pourvu que vous soyez seulement trente ans sans voir de femmes.
            Vous trouverez ensuite des devins si habiles, qu'ils vous diront toute votre vie, pourvu qu'ils aient eu un quart d'heure de conversation avec vos domestiques.
            Des femmes adroites font de la virginité une fleur qui périt et renaît tous les jours, et se cueille la centième fois plus douloureusement que la première.
            Il y en a d'autres qui, réparant par la force de leur art toutes les injures du temps, savent rétablir sur un visage une beauté qui chancelle, et même rappeler une femme du sommet de la vieillesse pour la faire redescendre jusqu'à la jeunesse la plus tendre.
            Tous ces gens-là vivent ou cherchent à vivre dans une ville qui est la mère de l'invention.
            Les revenus des citoyens ne s'y afferment point: ils ne consistent qu'en esprit et en industrie; chacun a la sienne, qu'il fait valoir de son mieux.
            Qui voudrait nombrer tous les gens de loi qui poursuivent le revenu de quelque mosquée, aurait aussitôt compté les sables de la mer, et les esclaves de notre monarque.
            Un nombre infini de maître de langues, d'arts et de sciences, enseignent ce qu'ils ne savent pas; et ce talent est bien considérable: car il ne faut pas beaucoup d'esprit pour montrer ce qu'on sait; mais il en faut infiniment pour enseigner ce qu'on ignore.
             On ne peut mourir ici que subitement; la mort ne saurait autrement exercer son empire: car il y a dans tous les coins des gens qui ont des remèdes infaillibles contre toutes les maladies imaginables.
            Toutes les boutiques sont tendues de filets invisibles où se vont prendre tous les acheteurs. L'on en sort pourtant quelquefois à bon marché: une jeune marchande cajole un homme une heure entière, pour lui faire acheter un paquet de cure-dents.
            Il n'y a personne qui sorte de cette ville plus précautionné qu'il n'y est entré: à force de faire part de son bien aux autres, on apprend à le conserver; seul avantage des étrangers dans cette ville enchanteresse.

            De Paris, le 10 de la lune de Saphar, 1714.