O. Gonet

Olivier GONET

ESQUISSES DE LA

MEDITERRANEE

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    Le peintre Olivier Gonet (ogonet@ctv.es), né en Suisse, en 1936, a vécu et travaillé dans presque tous les pays méditerranéens. Installé audourd'hui, à Jávea, en Espagne, il expose régulièrement en Europe. Il est docteur en sciences et auteur de plusieurs livres d'art, de voyages et de sciences naturelles.

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PREAMBULE

    L'un des plaisirs délicieux de la peinture à l'huile est qu'elle vous laisse libre de flotter dans un petit ruisseau de rêveries claires, les mains sont occupées par les pinceaux, il y a l'odeur de la térébenthine, la lumière agréable de l'atelier. Alors, les amis, les objets, oubliés depuis des années, refleurissent dans la mémoire. Et, sans que le peintre en soit toujours bien conscient, ils imprégnent le tableau au point d'en devenir le meilleur et le plus subtile parfum.

CHAPITRE I

    Ecartez les vulgarités touristiques qui barbouillent aujourd'hui la Méditerranée et vous retrouverez, intacte, l'antique saveur charmeuse de ses paysages et de ses gens. Regardez, elle brille dans les yeux de cette paysanne espagnole rencontrée au détour d'un chemin de terre rouge, elle vit dans les gestes de cette brave italienne qui triture des tomates au fond d'une ruelle aux ombres bleues-violettes. Regardez ce paysan assis à l'ombre fragile d'un amandier noir qui perd une poignée de pétales blancs à chaque bouffée de vent. Bien calé sur une chaise de paille, un verre de vin à portée de la main, il tourne une longue cuillère de bois dans un pilon qui contient des jaunes d'oeufs. Goutte à goutte, il fait couler de la belle huile d'olive blonde puis il ajoute de l'ail pilé en quantité suffisante pour faire blanchir son ailloli. Un coup d'oeil pour mesurer le poivre et la goutte de vinaigre de la fin. Cela peut se manger avec des pommes de terre cuites au feu et c'est merveilleux.

    Et le petit monde des marins?

    - Connaissez vous la pêche au thon? me demande un ami espagnol.

    Je connais bien sûr la vie de ces bateaux de pêche tout griffés, tout usés par le travail des hommes et de la mer.

    - Non non!, je veux parler de la pêche au filet. Allons voir cela!

Et nous voilà partis.

    Un village, au sud de Carthagène. Ou plutôt une volée de petites maisons blanchies à la chaux, qui dégringolent de la falaise jusqu'à l'eau violette oú de gros carrés de pierre, mis tout de guingois, forment comme une espèce de débarcadère.

    Flottant sur l'eau claire, il n'y a pas plus d'une demi-douzaine de petits bateaux à rames.

    Quelques familles de pêcheurs, quelques vieilles bonnes femmes portant sur la tête des chignons gros comme des crottes de bique et, à la sortie de l'école, une poignée de gamins aux sourires ébréchés qui font des bêtises avec un bidon crevé.

    Nous sommes en Juin, la saison du thon. Tous les pêcheurs se sont placés sous l'autorité commandeuse de Joaquin. C'est le roi d'Ithaque. Il est un peu vieillissant mais c'est encore un fier barbu aux yeux charbonneux. Il règne sur un petit peuple de pêcheurs qui sont presque tous de sa famille. Ils ont installé, au large du village, un gigantesque filet de plusieurs kilomètres, largement ouvert au passage espéré des bancs de thons. Ce filet, fixé sur le fond par un chapelet d'énormes ancres de caravelles, se finit en une vaste chaussette de ficelle.

    Maintenant, ils attendent, assis sur le quai, en chuchotant comme à l'église. Au loin, l'un d'entre eux guette, immobile sur un petit bateau. Et cela dure parfois plusieurs jours, parfois plusieurs semaines.

    Soudain, un matin, un soir, n'importe quand, la chaussette se remplit d'un seul coup d'une masse éclatante de vie. Les thons sont arrivés!

    Alors, on se précipite. C'est la grande boucherie.

    Et puis, c'est la fête au village. Pinard, guitare et boustifailles. Le roi d'Ithaque est célébré autant que taquiné par le bataillon des veuves qui rient comme si elles allaient s'envoler.

    Seul sur la falaise, et malgré les lazzi des fêtards, la silhouette noire d'un berger n'a pas bougé d'un pouce.Le vent, qui flotte dans mes cheveux, fait courir des traînées de nuages dans le paysage. Des aiguilles de soleil fuient au loin sur la mer frissonnante de lumière.

    Ceci est ma patrie. C'est cela que j'essaye de peindre aujourd'hui et, malgré les années qui passent, j'y prends un plaisir toujours neuf.

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mlevy
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Created 1997,
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